zaterdag, april 29, 2006

Alexandre Douguine et le néo-eurasisme russe, unissent Thiriart et Evola door Francesco BOCO op Voxnr.com december 2005.

Dans Thiriart : l’Europe comme révolution, j’ai traité de la théorie géopolitique de Jean Thiriart qui peut être résumée dans la formule « L’Europe unie de Dublin à Vladivostok ». Toutefois, je n’y ai pas fait allusion à un événement qui aujourd’hui s’impose nécessairement à notre attention. A savoir que la doctrine géopolitique « grande européenne » - que l’on nomme aussi eurasiste - se révèle incompréhensible, et est inadéquate aux exigences du futur, si elle n’est pas s’associée à une réévaluation, et à une actualisation, des valeurs de type traditionnel. Seules celles-ci sont capables de restituer aux peuples d’Eurasie et de la Terre, les principes véritables pour une vie juste et harmonieuse.


Il n’est donc pas insignifiant de réfléchir à la possibilité d’accorder la vision traditionaliste de Julius Evola avec la géopolitique d’orientation eurasiste.

Alexandre Douguine traite ce thème dans un paragraphe de son essai Julius Evola et le traditionalisme russe. Faisons brièvement le point.

A lire Impérialisme païen, on se rend compte que l’estime qu’éprouvait Evola à l’égard des peuples slaves était nulle ou presque. Il affirme qu’ils ne connaissent pas la Tradition et il considère l’Est de l’Europe comme une terre barbare, ennemie naturelle des traditions centre-européennes. La vision géopolitique évolienne - qui est : ni Occident (capitalisme américain), ni Orient (communisme soviétique), l’Europe - coïncide avec la vision géopolitique initiale de Thiriart - ni Occident, ni Orient, l’Europe impériale.

Chez Evola par conséquent « L’appréciation du socialisme comme quelque chose d’essentiellement anti-traditionnel va de pair avec la sous-estimation de la civilisation slave. Ces deux aspects sont intrinsèquement liés. »1 Cependant, chez Thiriart le socialisme n’est pas un ennemi, il présente des côtés positifs : « Il [a] reconnu dans le système socialiste soviétique beaucoup plus d’affinités avec ses propres idéaux que dans le monde capitaliste.»2

Quand Thiriart résuma sa pensée dans le slogan « L’Europe de Dublin à Vladivostok », il affirma de fait la compatibilité du tercérisme européen avec l’orientation eurasiste socialiste. Sans abandonner sa propre aversion à l’égard des systèmes communistes, Thiriart affirmait, dans les années 1960 : « dans un demi-siècle le communisme arrivera, bon gré mal gré, au communautarisme »3. Dans le même temps, il voyait dans le national-communisme, c’est-à-dire dans un communisme exempt du dogmatisme marxiste et enrichi par le sentiment d’appartenance nationale, un allié et même un système politique acceptable, à défaut du système idéal qui était le communautarisme, un socialisme à dimension nationale qui aurait réformé le communisme et remplacé le capitalisme.

Les USA désignés comme l’ennemi unique, « le camp socialiste était plutôt perçu comme “l’allié possible” »4. Avec la nouvelle théorie géopolitique de l’« Empire Euro-soviétique » - soit l’Eurasie selon les termes actuels – on en est de fait arrivé à « Orient contre Occident, eurasistes contre atlantistes ».

Une fois effondrés les régimes communistes de doctrines marxistes - puisque le national-communisme est un communautarisme à dimension impériale-continentale - la théorie thiriartienne de l’Empire Euro-soviétique actualise d’une manière cohérente la révolution anti-moderniste évolienne. Nous parlons de révolution dans son sens original, celui d’une véritable révolte qui se produit contre tout ce que représente le monde moderniste.

Le problème principal qu’Evola pose à l’homme différentié « est de caractère interne : se relever, renaître intérieurement, se donner une forme, créer en soi-même un ordre (…) reconstruire lentement un homme nouveau à animer au moyen d’un esprit déterminé et d’une vision adéquate de la vie. »5 « L’Empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin, le camp de la Révolte paradoxale des “bruns-rouges” eurasistes en quête du Regnum totalement opposé à la modernité, à cette modernité qui se concrétise eschatologiquement dans “la domination absolue du capital” et de la “mentalité sémitico-marchande”, dans l’avènement final d’un type social qui n’appartient ni à la troisième, ni à la quatrième caste traditionnelle indo-européenne – tout cela peut être déduit de la lecture “russe” d’Evola, de la lecture “révolutionnaire” d’Evola qui brise la scolastique traditionaliste impuissante, universitaire et réconfortante et revivifie son esprit qui n’est, d’ailleurs, pas mort.»6 Alexandre Douguine et le courant eurasiste parlent d’Imperium7 eurasiatique, le lien avec la doctrine évolienne8 est donc clair aussi dans ce cas. Plus que l’anti-modernisme radical inhérent à la théorie géopolitique eurasiste, l’idée gibeline en sort réévaluée.

« Sa formule gibeline a été claire : l’Empire contre Eglise, Rome contre le Vatican, la sacralité organique et immanente contre les abstractions dévotionnelles et sentimentales de la foi. (…) Pour le traditionaliste orthodoxe, la séparation catholique entre le Roi et le Pape n’est pas imaginable et relève de l’hérésie, appelée précisément “hérésie latine”. On retrouve dans cette conception russo-orthodoxe l’idéal purement gibelin où l’Empire est tellement respecté théologiquement qu’on ne peut pas imaginer l’Eglise comme quelque chose d’étranger et isolée de lui.»9 Et par conséquent : Troisième Rome - Troisième Reich - Troisième Internationale - Eurasie.

Alexandre Douguine démontre donc que l’aversion évolienne à l’égard des peuples slaves est sans fondement, du moins en ce qu’elle concerne la tradition religieuse : « Selon lui, la tradition chrétienne toute entière est l’expression de la dégradation cyclique, la racine de la décadence de l’Occident traditionnel et la “subversion” de l’esprit du Sud, de la mentalité “sémitique” projetée sur le Nord européen et aryen. C’est pour cette raison qu’il y a des aspects inacceptables dans son message, dans le contexte du traditionalisme russe. » 10

Douguine écrit : « Le dévotionalisme, le rationalisme scolastique et le papisme du Vatican sont les objets de la critique constante de l’orthodoxie contre le catholicisme. (…) L'esprit orthodoxe est contemplatif, apophatique, hésychaste, communautaire et résolument anti-individualiste. Le but nettement déclaré de l’Orthodoxie est “la déification” de l’homme par la voie ascétique décrite dans des termes purement ésotériques et utilisant des procédés initiatiques. »11

Jean Thiriart a profondément influencé la vision eurasiste, dont aujourd’hui le porte-parole le plus connu en est Alexandre Douguine ; unir les théories géopolitiques eurasistes au traditionalisme évolien donne une solide dimension mystique et spirituelle à ce qui autrement ne serait rien de plus qu’un pragmatisme politique.

Nous nous trouvons donc face à une vision du monde impériale, communautaire, radicalement anti-moderne. Si Jean Thiriart, jacobin et pragmatique, ne prit pas en considération la dimension spirituelle et traditionnelle dans ses écrits, de son côté, Julius Evola ne donna pas une dimension géopolitique précise à ses études sur la Tradition. On sait, à ce propos, qu’il alla jusqu’à voir dans les USA le « moindre mal » durant la période de la « Guerre froide »12, qu’il fit l’éloge de l’Arabie Saoudite wahhâbite, la préférant à l’Egypte révolutionnaire et socialiste de Nasser13, et qu’il se félicita de l’efficacité militaire de l’entité sioniste, en tant qu’avant-poste de la « civilisation occidentale».

En résumé, les positions politiques d’Evola ne recoupaient pas, dans les années 1950-1960, celles qui auraient été les nôtres. Mais, aujourd’hui, ce qui nous intéresse c’est une actualisation des doctrines traditionnelles qu’il étudia, ce que l’Imperium d’Eurasie tente de faire sur l’échelle continentale.


notes

1 Alexandre Douguine, Julius Evola ed il tradizionalismo russo, Edizioni Nuovi Orizzonti Europei, p. 10.

2 Alexandre Douguine, idem, p. 11.
3 Jean Thiriart, La Grande nazione, SEB, p. 50.

4 Alexandre Douguine, op. cit., p. 11.

5 Julius Evola, Orientamenti, Ar, p. 19.

6 Alexandre Douguine, op. cit., p. 12.

7 « Il doit s’établir une vraie hiérarchie, de nouvelles dignités doivent se différencier et, au sommet, doit trôner une fonction supérieure de commandement, d’imperium. », Julius Evola, op. cit., p. 25.

8 « C’est seulement comme un Empire que l’Europe pourrait être une - une comme une nation spirituelle et un bloc de civilisation. » Julius Evola « Impero e civilta », in Imperium n° 2 juin 1950, réimpression anastatique par les éditions Settimo Sigillo.

9 Alexandre Douguine, op. cit., p. 3. Evola écrira : « Spirituellement, c’est la prise de forme d’un type de culture caractérisé par le dualisme, la dépolitisation, la scission et l’absolutisation du particulier. » Dans Imperium, op. cit.

10 Alexandre Douguine, op. cit., p. 7.

11 Alexandre Douguine, idem.

12 « A examiner seulement l’immédiat, il subsiste pour sûr le choix du moindre mal parce que la victoire militaire de “l’Orient” impliquerait la destruction physique immédiate des derniers représentants de la résistance. Mais du point de vue des idées, la Russie et l’Amérique du Nord sont à considérer comme deux branches d’une même tenaille en voie de se serrer définitivement autour de l’Europe. » Dans Julius Evola, op. cit., p. 24.

13 Voir Claudio Mutti, « Evola e Nasser », in La Nazione Eurasia, n° 6, juillet 2004, en particulier : « Il est difficile de comprendre comment Evola put décerner un brevet d’orthodoxie islamique à un pays tel que l’Arabie Saoudite, qui est gouverné par un courant (le wahhâbisme) qui dans tout le monde de l’Islam, qu’il soit sunnite ou chi’ite, a toujours été considéré comme sectaire et hérétique. En outre il est vraiment étrange qu’un chercheur comme Evola, beaucoup plus averti que tant d’autres quant aux dessous de l’histoire, néglige le fait que l’Arabie Saoudite est née des opérations plus ou moins occultes de l’Angleterre, intéressée à fomenter le nationalisme arabe contre la Turquie et à se garantir le contrôle de la péninsule arabique. Comme si cela ne suffisait pas, vers la fin des années cinquante la monarchie saoudienne était un pion de premier ordre du nouvel impérialisme mondial : celui des Etats-Unis. Mais Evola – et je regrette beaucoup d’être contraint de rappeler certaines limites de sa pensée – avait établi que l’Occident capitaliste était, non “du point de vue des idées”, mais plutôt dans une reconnaissance tactique des circonstances contingentes, “le moindre mal”. Cela écrit, si Evola avait tort lorsqu’il exprimait la crainte que l’occidentalisation livra les pays musulmans dans les bras du communisme, il avait raison quand il observait que l’émancipation politique des pays musulmans colonisés s’accompagnait souvent de l’adoption d’éléments culturels étrangers à la culture islamique. »

1 Comments:

At 5:56 a.m., Anonymous Anoniem said...

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